Gestion durable des résistances

Gestion durable des résistances

Des modèles mathématiques pour gérer durablement les gènes de résistances aux maladies des plantes en aménageant les paysages agricoles

Résumé

Accroître la diversité des plantes cultivées, et en particulier des gènes de résistances aux maladies, est un pilier de l’agro-écologie à même de réduire l’usage des pesticides. Mais, en pratique, comment utiliser ces résistances pour maîtriser les pertes de récoltes tout en préservant leurs durabilités ? Cultiver une seule variété cumulant plusieurs gènes ou une diversité de variétés en portant chacune un seul ? A quelle échelle agencer cette diversité : en aménageant la mosaïque paysagère ou en favorisant des mélanges variétaux dans les parcelles ?

Le développement de deux modèles mathématiques, respectivement sur des maladies causées par des virus et des champignons, apporte de nouveaux outils pour revisiter ces questions. Leur confrontation souligne le rôle clé de la préexistence d’agents pathogènes adaptés aux résistances pour opérer ces choix, mais aussi la difficulté de concilier contrôle épidémiologique et gestion durable des résistances.

Contexte et enjeux

Accroitre la diversité des plantes cultivées, et en particulier des gènes de résistances aux maladies, est un pilier de l’agro-écologie à même de réduire l’usage des pesticides. De leurs côtés les agents pathogènes évoluent sans cesse et contournent fréquemment les variétés résistantes déployées sur le terrain. Dans ce contexte, deux grands types de stratégies sont envisageables. D’une part le pyramidage consiste à cumuler, lors du travail de sélection variétale, plusieurs gènes de résistance dans une même variété. D’autre part, les associations variétales consistent à cultiver plusieurs variétés dans l’espace (en plantant des mélanges intra-parcellaires ou des mosaïques inter-parcellaires) et/ou dans le temps (rotation) (Mundt, 2002). Mais en pratique, quelle stratégie choisir, à quelle échelle la déployer ? Existe-il une stratégie à même de concilier les objectifs de la protection des plantes évolutionniste (Zhan et al., 2015) - assurer un contrôle des bioagresseurs sur le court terme et de préserver la ressource génétique que constituent les gènes de résistances sur le long terme ? Dans cette quête, la modélisation constitue un outil intégrateur des connaissances acquises sur les interactions entre les structures paysagères et dynamiques épidémiologiques et évolutives des agents pathogènes. Son rôle est d’autant plus important qu’expérimenter à l'échelle paysagère est particulièrement difficile.

Résultats

Deux modèles mathématiques, traitant respectivement de maladies causées par des virus (Djidjou-Demasse et al., 2017) et des champignons biotrophes (Rimbaud et al., 2018 a,b), ont été développé pour se saisir de ces questions et les éclairer d’un jour nouveau. Tous deux reposent sur le formalisme des modèles compartimentaux qui distinguent dans la population hôte plusieurs catégories d’individus (Sains, Exposés, Infectieux, Retirés…). Le premier modèle représente les flux entre compartiments par des équations différentielles et s’appuie sur une représentation implicite du paysage supposant des parcelles identiques. Le second modèle utilise un simulateur stochastique pour représenter les flux entre compartiments et repose sur un parcellaire plus réaliste.

La confrontation entre ces deux modèles souligne le rôle clé de la préexistence (lors du déploiement des résistances) d’agents pathogènes adaptés aux résistances dans le choix entre des stratégies basées sur le pyramidage et des stratégies basées sur les associations variétales. Les stratégies pyramides sont plus durables que les mosaïques en l’absence de génotypes pathogènes pré-adaptés. Une fois ces derniers apparus (par mutation ou migration), les mosaïques deviennent meilleures. Une stratégie universelle n’existe donc pas, d’autant plus que les contrôles évolutif et épidémiologique ne sont pas nécessairement corrélés. La stratégie optimale dépend donc du contexte épidémiologique et des objectifs poursuivis. Par ailleurs, ces résultats dépendent également d’autres paramètres, comme le taux de mutation de l’agent pathogène, sa capacité à se disperser, les coûts évolutifs associés à son adaptation, et la connectivité des parcelles du paysage. Ainsi, les stratégies de gestion doivent être adaptatives pour permettre de réagir au contexte local et à l’évolution des populations pathogènes.

Perspectives

Le modèle proposé par Rimbaud et al (2018 a,b) est disponible sous forme d’un package R. Il offre un cadre de modélisation unique dans lequel il sera possible de décrire une large diversité de pathosystèmes (champignons, virus, bactéries – cultures annuelles ou pérennes et les spécificités génétiques et épidémiologiques de leurs interactions). Ainsi, il permettra d’étudier, pour un large éventail d'agents pathogènes, l’impact des caractéristiques de ces agents infectieux sur l’efficacité des stratégies de déploiement des résistances variétales. L’enjeu, à terme, est de dégager des règles générales à même d'améliorer durablement le contrôle des maladies dans les principales cultures d’intérêt économique.

SPE-2018fabre

Illustration : Modélisation spatialement implicite (A) et spatialement explicite (B,C) d’un paysage agricole. A : Dans le modèle de Djidjou-Demasse et al (2017), l’effet du paysage agricole sur les épidémies virales est modélisé implicitement par des paramètres quantifiant l’importance des routes d’infections entre, et au sein, des compartiments sauvages et cultivés. B : Dans l’approche de Rimbaud et al. (2018a,b), un parcellaire plus réaliste est simulé à l’aide d’un algorithme de tessellation. C : Les propagules de l’agent pathogène se dispersent au sein de ce parcellaire selon une fonction mathématique particulière dite fonction de dispersion.

Contacts

  • Frédéric Fabre, UMR1065 SAVE Santé et Agroécologie du Vignoble, Centre de recherche Nouvelle-Aquitaine-Bordeaux
  • Julien Papaïx, UR0546 BioSP Biostatistique et Processus Spatiaux, Centre de recherche Provence-Alpes-Côte d'Azur
  • Loup Rimbaud, UR0407 PV Pathologie Végétale, Centre de recherche Provence-Alpes-Côte d'Azur

Ce travail est un fait marquant 2018 du département SPE

Voir aussi

Valorisation 

  • Djidjou-Demasse, Ramses, Benoît Moury, Frédéric Fabre. 2017. Mosaics Often Outperform Pyramids: Insights from a Model Comparing Strategies for the Deployment of Plant Resistance Genes against Viruses in Agricultural Landscapes. New Phytologist 216, 239-253. 
  • Rimbaud, Loup, Julien Papaïx, Jean-François Rey, Luke G. Barrett, Peter H. Thrall. 2018a. Assessing the Durability and Efficiency of Landscape-Based Strategies to Deploy Plant Resistance to Pathogens. Plos Computational Biology, 14, e1006067
  • Rimbaud, Loup, Julien Papaïx, Luke G. Barrett, Jeremy J. Burdon, Peter H. Thrall. 2018b. Mosaics, Mixtures, Rotations or Pyramiding: What Is the Optimal Strategy to Deploy Major Gene Resistance? Evolutionary Applications

Date de modification : 14 août 2023 | Date de création : 13 mai 2020 | Rédaction : FF