Stenofus complète le projet Bandifuté.
Contexte
La fusariose de l’épi (FHB) est une maladie des céréales et du maïs, causée par un complexe d’espèces appartenant aux genres Fusarium et Microdochium (ref 1, 2). Cette maladie s’accompagne fréquemment de la contamination des grains par des mycotoxines, dont certaines sont soumises à réglementation. C’est le cas des trichothécènes sécrétées principalement par F. graminearum et F. culmorum dont la toxicité a été largement caractérisée. D’autres espèces de Fusarium, produisent des mycotoxines dites « émergentes », comme, par exemple, la beauvericine et les ennniatines (ref 2, 3). Ainsi, F. tricinctum est une espèce de plus en plus souvent décrite dans le complexe associé à la FHB dans les récoltes de céréales en Europe (ref 1-2, 4-6) et en Asie (ref 7, 8). Sa présence dans les grains a été directement corrélée à celle d’enniatines et de beauvericine. Du fait de leur large spectre d’activités biologiques (antifongiques, antibiotiques, cytotoxiques), un risque de conséquences toxicologiques majeures liées à ces mycotoxines ne peut être écarté, d’autant plus que ces mycotoxines émergentes sont très fréquemment retrouvées dans les récoltes et occasionnellement à des niveaux très élevées (ref.9). Aussi des efforts significatifs sur la recherche de stratégies de prévention de la contamination des denrées alimentaires doivent être menés. Une des mesures prometteuses repose sur l’exploitation des propriétés détenues par certains agents bactériens et/ou leurs métabolites qui sont capables d’empêcher/freiner le développement des agents fongiques toxinogènes et/ou d’inhiber la production de mycotoxines. Dans ce contexte, un isolat bactérien (Stenotrophomonas sp. souche S-104), suspecté endohyphale de F. tricinctum a été récemment isolé au laboratoire MycSA et caractérisé par une efficacité antagoniste particulièrement intéressante. Des premières données expérimentales suggèrent que le dialogue chimique entre les deux partenaires jouerait un rôle clef dans cette interaction.
Objectif
Ce projet vise à préciser la communication chimique mise en place lors de l’interaction entre une bactérie (Stenotrophomonas sp. souche S-104, récemment isolée au laboratoire à partir de la souche INRA104 de F. tricinctum) et l’espèce fongique F. tricinctum, productrice de mycotoxines « émergentes », par la caractérisation de la nature et les rôles des métabolites secondaires sécrétés. Il s’attachera à (1) identifier les métabolites secondaires sécrétés par les deux partenaires lors de leur confrontation : en particulier les molécules bactériennes de type PKs, NRPs et/ou lipopeptides et les métabolites secondaires fongiques, potentiellement à visée antibactérienne, comme la bikaverine ou les mycotoxines émergentes enniatines et beauvericine ; (2) à préciser comment ces métabolites fongiques et bactériens sont susceptibles de modifier le métabolisme et la croissance des partenaires en interaction. Ce projet bénéficiera des séquences (récemment obtenues et annotées au laboratoire) des génomes complets des deux partenaires et s’appuiera sur l’expérience reconnue du laboratoire MycSA en microbiologie et génomique des espèces fusariennes ainsi que dans l’exploitation d’approches métabolomiques pour l’analyse et la caractérisation des métabolites secondaires (chromatographie couplée à un spectromètre de masse haute résolution, récemment acquis).
Enjeux scientifiques et enjeux socio-économiques :
Le projet couvre un enjeu scientifique important en s’intégrant dans l’étude récente et en plein essor de l’influence du microbiote bactérien dans la régulation du métabolisme secondaire des champignons phytopathogènes. Il répond à un enjeu sociétal majeur lié à la compréhension des déterminismes du risque mycotoxique engendré par des espèces fusariennes émergentes sur céréales. Enfin, les métabolites secondaires fongiques mis en évidence pourraient se révéler d’intéressantes et nouvelles molécules à propriétés antibactériennes.
Etat de l’art :
La souche INRA104 de F. tricinctum a été utilisée par notre équipe pour l’obtention du premier génome de référence pour cette espèce (10). L’annotation des gènes impliqués dans la biosynthèse des métabolites secondaires de cette espèce est en cours, en particulier ceux codant pour l’arsenal important de PKs et NRPs dont dispose l’espèce. A côté de ce génome fongique, un génome bactérien circulaire de 4,5 Mb (1842 gènes) a été obtenu. Ce génome appartient à une espèce nouvelle (nommée S104) appartenant au genre Stenotrophomonas et montre 91.2 % d’identité nt avec Stenotrophomonas rhizophila, un bacille gram négatif décrit en 2002 comme une bactérie environnementale associée à la rhizosphère des plantes et possédant des activités antifongiques (11). Des études ont montré l’intérêt d’utiliser S. rhizophila comme agents de protection des plantes contre divers stress abiotiques, comme stimulateur de la croissance ou encore comme agent de biocontrôle (12 - 13).
Des approches moléculaires nous ont permis de montrer la présence de bactéries apparentées chez plusieurs souches de F. tricinctum issues de grains de céréales avec des origines géographiques et des années de récolte variées. Ces travaux préliminaires suggèrent que la bactérie Stenotrophomonas sp. présente, selon les conditions environnementales, un stade endohyphal et un stade libre. Les conditions permettant l’émergence des bactéries présentes dans les hyphes vers le milieu extérieur sont encore inconnues. Des études préliminaires suggèrent, de plus, que la bactérie S-104 serait capable d’inhiber la croissance des hyphes et la germination des conidies de F. tricinctum.
Ces dernières années, un petit nombre de publications ont décrit les interactions entre diverses bactéries et espèces fongiques toxinogènes (14-15). Ces études ont montré des conséquences importantes sur la biologie du champignon et en particulier la production de métabolites secondaires dont des mycotoxines. (14-18). En particulier, le modèle d’interaction entre la bactérie phytopathogène Ralsonia solanacearum et F. fujikuroi (19-21) a permis de montrer que la sécrétion par la bactérie d’un lipopeptide (ralsolamycin) induisait chez le champignon le développement de chlamydospores, ce qui faciliterait l’entrée de la bactérie dans les hyphes en lui fournissant une niche à occuper. F. fujikuroi répondrait par la production de bikaverine (pigment rouge) et de beauvericine (effet antibactérien) qui assureraient la survie du partenaire fongique. La comparaison de ce modèle avec le couple Stenotrophomonas sp. /F. tricinctum appelle de nombreuses questions sur la nature et les rôles des métabolites secondaires bactériens et fongiques sécrétés lors d’interactions de type co-culture des deux partenaires biologiques (23).
Questions
L’interaction Stenotrophomonas sp. / F. tricinctum doit affecter la production de métabolites secondaires de la bactérie et du champignon. L’exploration de ces métabolites et de leurs effets permettra de mettre à jour le dialogue chimique impliqué dans l’installation de l’état endohyphal ou libre de la bactérie et dans l’accumulation de mycotoxines dans le milieu ambiant du champignon. Les questions posées sont :
- Comment la co-culture de la bactérie Stenotrophomonas sp. avec des souches de F. tricinctum affecte la sécrétion de métabolites secondaires fongiques et en particulier des mycotoxines ?
- Quelles sont les métabolites bactériens impliqués dans la stimulation ou l’inhibition de la sécrétion de mycotoxines?
- Des métabolites secondaires fongiques impliqués dans ce dialogue chimique ont-ils des activités antibactériennes (effet sur la croissance ou encore le quorum sensing) ?
Démarche, étapes
1) Mise en évidence de métabolites secondaires impliqués dans le dialogue chimique entre F. tricinctum et Stenotrophomonas sp.
Cette interaction sera étudiée entre la bactérie. S104 et deux souches de F. tricinctum : INRA 104 à partir de laquelle la bactérie a été détectée et isolée et une souche pour laquelle cette association bactérie- champignon n’a pu être mise en évidence.
A) Co-cultures sur des milieux solides : Les deux partenaires de l’interaction seront cultivés en confrontation sur boîtes de pétri. Les conditions de co-cultures seront comparées à celles des cultures des souches isolées pour chacun des paramètres analysés : (1) les développements fongique et bactérien ainsi que la production de mycotoxines, (2) une analyse microscopique des hyphes (présence de chlamydospores, sectorisation mycélienne), (3) les métabolites secrétés (comparaison des profils métabolomiques de la zone d’interaction et de ceux issus de cultures seules).
B) Co-cultures en milieux liquides avec différentes séquences d’introduction des deux partenaires : F. tricinctum puis bactérie, bactérie puis F. tricinctum et les deux simultanément : Dans ces cultures seront analysés les croissances fongiques et bactériennes par QPCR, les teneurs en mycotoxines ainsi que les profils de métabolites secrétés. Ces différents paramètres seront comparés entre les différentes conditions de culture ainsi qu’avec les conditions témoins (cultures des souches seules).
C) Effet de surnageants bactériens sur la croissance fongique et la toxinogénèse : Des cultures bactériennes seront réalisées dans différents milieux et à différentes températures et les profils métabolomiques des surnageants analysés. Ces surnageants seront additionnés aux milieux de culture servant à l’inoculation de la souche F. tricinctum. L’effet de cette supplémentation sur le développement fongique et la production de mycotoxines sera étudié. Les profils métabolomiques de surnageants bactériens et leur capacité à inhiber/stimuler la croissance et toxinogénèse seront mis en relation.
2) Identification des métabolites bactéries jouant un rôle clef dans l’interaction
Afin d’identifier les métabolites bactériens d’intérêt, un fractionnement bioguidé (chromatographie basse pression et HPLC semi-préparative) du surnageant démontré comme le plus actif précédemment sera entreprise. Une analyse par spectrométrie de masse permettra d’apporter des éléments sur la nature et identification structurale du/des composés bioactifs. L’effet de la fraction chromatographique active ou du/des métabolites purifiés sur le transcriptome fongique (approche ciblée sur le métabolisme secondaire) sera étudié.
3) Effet des mycotoxines émergentes produites par F. tricintum sur le partenaire bactérien
Cette étude sera réalisée à l’aide de toxines commerciales (enniatines, beauvericine). La capacité de ces toxines à limiter la croissance bactérienne (différentes conditions et concentrations) ainsi qu’à inhiber le quorum sensing bactérien sera investiguée (bio-essai avec Chromobacterium violaceum [22]).