FM-2019-Biofongicides

La biologie computationnelle pour aider au développement de biofongicides contre un champignon responsable de la contamination des céréales par des mycotoxines.

Les mycotoxines produites par les espèces fongiques du genre Fusarium sont des contaminants fréquents des récoltes céréalières. Un des leviers des stratégies de maîtrise du risque repose sur une utilisation raisonnée de fongicides. La recherche d’alternatives aux molécules de synthèse actuellement utilisées est un enjeu majeur pour les filières céréalières. En capitalisant sur la connaissance scientifique acquise sur la physiologie de l’agent fongique et en exploitant les données de génomique et transcriptomique disponibles, une stratégie de biologie computationnelle a été mise en œuvre pour définir les cibles fongiques les plus pertinentes. Un criblage virtuel de plusieurs milliers de molécules (différentes chimiothèques) a été réalisé, conduisant à une liste restreinte de composés potentiellement inhibiteurs des cibles fongiques sélectionnées. Après vérification expérimentale de leur activité biologique, un motif chimique très intéressant pour sa capacité à inhiber la production de mycotoxines a été mis en évidence. Cette étude a permis de démontrer les atouts de la biologie "computationnelle" pour proposer de nouvelles matières actives et surtout pour définir les critères de criblage de banques de composés naturels et progresser dans le développement de nouveaux biofongicides.

Fusarium graminearum est un champignon filamenteux capable d’infecter les céréales et maïs et responsable de la fusariose de l’épi. Des épidémies de fusariose sont observées régulièrement dans toutes les régions céréalières européennes conduisant à des pertes de rendement conséquentes. La qualité sanitaire des grains est aussi fortement altérée du fait de leur contamination par des mycotoxines produites par F. graminearum. Il s’agit en particulier des trichothécènes de type B avec le déoxynivalenol (DON) comme représentant majeur. La toxicité aigüe du DON vis-à-vis de l’homme et des animaux d’élevage est avérée et de multiples études s’accordent sur le risque d’une toxicité chronique. Il n’existe actuellement aucun procédé de décontamination des grains et la maîtrise du risque DON nécessite la mise en place d’actions en pré-récolte. Associée aux pratiques agronomiques (assolement, gestion de résidus de culture et choix variétal), l’utilisation de fongicides est un levier efficace pour réduire la fusariose et la contamination par le DON. L’impact des fongicides de synthèse sur la santé et l’environnement ainsi que l’apparition de résistance chez les souches fongiques ont conduit à la mise en place de directives nationales (plans Ecophyto) et européennes et ont motivé une recherche active de méthodes alternatives dont les méthodes de biocontrôle. Outre l’utilisation d’antagonistes microbiens, des stratégies basées sur l’activité biologique de produits naturels sont à l’étude. L’identification de molécules naturelles actives a jusqu’à présent été essentiellement approchée par le criblage/purification d’extraits naturels de diverses origines ; une stratégie longue, couteuse et sans garantie de succès. La connaissance acquise au cours des dix dernières années sur la physiologie de F. graminearum et les mécanismes de toxinogénèse ainsi que le volume de données génomiques, transcriptomiques et protéiques relatives à cette espèce et disponibles dans les bases de données publiques autorisent depuis peu le développement de stratégies de biologie computationnelle dont le domaine d’application était jusqu’à présent essentiellement limitée à la recherche pharmaceutique. Une collaboration entre INRA MycSA et le LORIA (Univ Lorraine, CNRS, INRIA) a permis de conduire cette démarche jusqu’à la validation expérimentale de l’activité biologique de molécules sélectionnées pour atteindre des cibles particulières chez le champignon.

Une première étude initiée par Martins et al. (2016) a conduit à la sélection in silico d’une liste de molécules candidates dirigées contre des protéines fongiques d’importance majeure dans le développement fongique, la production de DON ainsi que la capacité à infecter le blé. L’activité biologique des molécules prédites comme possédant les scores d’interaction les plus élevés avec une protéine enzymatique impliquée dans la croissance de F. graminearum (24-sterol-methyltransferase/ERG6) et une protéine jouant un rôle déterminant dans la production de DON (trichodiene synthase/TRI5) a été testée à l’aide d’un panel de souches fongiques toxinogènes. Les données de développement mycélien et de concentration en DON dans des cultures supplémentées ou non par les molécules candidates ont permis de confirmer la fiabilité de la prédiction, à savoir la capacité à inhiber la croissance du champignon pour la molécule M1 dirigée contre ERG6 et celle à inhiber la production de DON pour la molécule M2 dirigée contre TRI5. Après cette preuve de concept, notre étude s’est attachée à identifier quels étaient les motifs structuraux et propriétés physicochimiques des molécules candidates déterminants pour la capacité à inhiber la production de DON. Sept analogues chimiques de la molécule M2 ont été sélectionnés et leur efficacité inhibitrice mise en relation avec leur score d’interaction avec TRI5 et leur caractère lipophile. Cette étude a mis en évidence le rôle clef de liaisons hydrogènes entre le ligand et trois résidus aminés spécifiques de la protéine TRI5. Elle a aussi souligné l’importance de combiner différents critères dans la prédiction de l’activité inhibitrice.

L’ensemble des résultats a apporté, pour la première fois, la démonstration de l’intérêt d’une stratégie de biologie computationnelle dans la recherche de nouvelles molécules actives contre les champignons toxinogènes. La définition de critères structuraux et physicochimiques liés à l’activité anti-mycotoxine facilitera le criblage de chimiothèques de composés naturels susceptibles d’intégrer la formulation de biofongicides. S’il reste encore plusieurs étapes à réaliser avant de développer de nouveaux biofongicides basés sur les résultats de cette étude, les données obtenues permettent néanmoins de mettre en évidence l’intérêt des approches de biologie "computationnelle". Les avantages (rapidité et moindre cout) de cette stratégie ouvrent aussi la voie à de nouvelles études qui ne seraient plus restreintes au concept « une cible fongique-une molécule » mais prendraient en compte « plusieurs cibles fongiques-plusieurs molécules ».

Date de modification : 14 août 2023 | Date de création : 04 janvier 2021 | Rédaction : Communication MycSA